3 février 2017, 20:21

John Garcia

"The Coyote Who Spoke In Tongues"

Album : The Coyote Who Spoke In Tongues

Bien sûr, John Garcia est avant tout renommé comme étant ce prince du désert, cette légende vivante à qui l’on attribue très généralement une forme de paternité - tout du moins la personnification même - du stoner rock grâce à cette présence, et surtout à cette VOIX. La faute à trois albums majeurs de KYUSS qui ont défini le genre et représenté une marche à suivre pour plus de la moitié des groupes de cette scène, désormais internationale, qui se sont engouffrés dans son sillage dès son split, à la moitié des années 90.
Mais Garcia ne s’est pas cantonné à KYUSS : tous ses projets suivants sont quasiment aussi cultes, et aucunement de simples copies de sa matrice génitrice. Allons : SLO BURN, UNIDA, HERMANO, sont trois formations toutes aussi underground, mais tellement importantes dans le lexique et la définition de la nébuleuse stoner… sans parler de nombreux featurings et de la nouvelle incarnation de KYUSS dans sa version amputée de Josh Homme : VISTA CHINO.

Depuis quelques années, malgré l’activation de ce dernier groupe et en reprenant tout l’héritage kyussien pour des tournées mondiales ayant affolé les foules, la véritable ambition de John Garcia est enfin de pouvoir s’épanouir seul. D’entamer une carrière solo et de ne rien avoir à devoir à qui que ce soit, sinon à lui-même. Un fantasme longtemps refoulé. Ce projet-là, long et tortueux, a été entamé dans l’ombre depuis un certain nombre d’années, plus exactement lorsqu’il avait commencé à mettre en branle son petit groupe de tournée GARCIA PLAYS KYUSS. C’est en retrouvant ses anciens camarades Brant Bjork et Nick Oliveiri, présents avec leurs propres groupes respectifs lors de l’édition 2010 du HELLFEST, que Garcia les avait invité sur scène pour jammer sur leurs vieux morceaux, précipitant ainsi la reformation du groupe KYUSS (KYUSS LIVES !) - qui allait devoir à nouveau se rebaptiser VISTA CHINO pour des raisons juridiques, Josh Homme s’opposant à toute utilisation du nom depuis leur split en 1995.
A ce moment, John Garcia avait déjà commencé à plancher sur des démos (on en possède très secrètement un exemplaire, offert en mains propres en plein désert !), et compte profiter de l’énorme retour de notoriété de son groupe phare pour avancer son concept, alors dénommé GARCIA VS GARCIA. Profitant d’un long hiatus après les tournées VISTA CHINO, le chanteur publie enfin sa petite Arlésienne, ce premier album solo TANT repoussé, espéré, attendu. C’est donc en 2014 que sort « John Garcia », premier LP surprenant, où l’on reconnait évidemment sa patte, ses origines, mais où l’on se surprend à le voir défricher quelques nouveaux territoires, dont ce morceau acoustique qui clôt l’album, "Her Bullets Energy", enregistré en compagnie d’une de ses idoles - Robby Krieger, rien de moins que le guitariste des DOORS !
Garcia rêve en secret de pousser la collaboration avec cette légende des années 60, et fantasme sur l’idée de bifurquer sur un album intégralement acoustique.

Après avoir achevé sa tournée solo en électrique dans de nombreux clubs (dont un tonitruant Glaz'art à Paris le 2 décembre 2014), il annonce poursuivre la route, mais uniquement en compagnie de son nouvel acolyte, le jeune guitariste Ehren Groban. Ensemble, ils investissent des salles plutôt décalées afin de proposer une nouvelle set-list complètement remaniée, et surtout des arrangements incroyables autour de son répertoire : c’est principalement ses derniers morceaux solo ainsi qu’une belle sélection de classiques de KYUSS qui sont ainsi revisités, en duo intimiste et feutré.
On les voit à Paris le 4 décembre 2015 à l’Archipel, une ancienne église reconvertie en bibliothèque et salle associative, où la voix de Garcia résonne comme jamais dans les hauteurs de la nef, le temps de ce set unplugged complètement éblouissant - et déjà culte. On les retrouve à Berlin le 20 mai 2016 à la Badehaus, une antre super underground où les deux amis, plus complices que jamais, offrent un set aussi cool que puissant, hypnotisant tous ses fans avec une rare aisance, déformant le répertoire KYUSS dans des versions stupéfiantes, tout en dévoilant ces nouveaux morceaux écrits ensemble sur la route - ou encore dans leur salle de répèt’ de Palm Springs.
Rapidement, Groban et Garcia s’enferment dans un studio du désert afin de coucher sur bandes les fruits de cette aventure inédite sur la route : la suite de la carrière solo de John Garcia reste acoustique, au moins le temps d’un disque qui vient sceller cette orientation unique, mieux encore qu’un disque live.

Ainsi, après des sessions studio et un temps fou passé à mixer leur travail, Garcia sort fin janvier ce « The Coyote Who Spoke In Tongues » annoncé depuis des mois, nouvel LP à la magnifique pochette qui est d’ores et déjà introduit par une succulente nouveauté : le morceau "Kylie", que l’on a déjà pu découvrir via son clip anxiogène sur le web, est le premier « single » à être révélé, et se montre aussi dynamique et excitant que s’il avait été électrique. A n’en point douter, cette nouvelle prouesse viendra alimenter les prochaines set-lists solo tant "Kylie" a déjà tout du tube, Garcia ne venant sûrement pas se "reposer" en acoustique, mais bien livrer des prestations vocales toujours aussi habitées.
Bien sûr, ce sont les nouvelles versions des pépites du patrimoine KYUSS qui sont attendues au tournant. Sur les neuf titres de l’album, quatre sont issus des trois disques majeurs de cette époque, à commencer par leur hit, leur "Paranoid" à eux, "Green Machine", hymne du monument "Blues For The Red Sun" en 1992. Elle est ici réarrangée comme une douce ballade épurée, entre desert-rock et romance sudiste. De l’album « Kyuss » (au faux nom « Welcome To Sky Valley »), on retrouve "Space Cadet", ici à nouveau désossé et typé blues aride, suivi du non moins impressionnant "Gardenia", complètement méconnaissable et là encore ultra intime et confidentiel, John Garcia se montrant ici d’une exquise douceur, alors que son final explore sur quelques mesures des territoires southern avec la guitare tout en slide de Groban.
C’est enfin l’immense "Rodeo", point d’orgue du mythique et dernier "…And The Circus Leaves Town", qui s’offre un nouveau lifting, certes débranché, mais toujours aussi tendu et inquiétant, avec ses atmosphères lugubres, balancées par ce riff dynamique à la gratte sèche et par les vocaux habités du coyote en chef.

Ailleurs, le chanteur propose une suite directe à son opus électrique avec "Argleben II", remaniement très sensible du "Argleben" de 2014, et propose une nouvelle pépite sous la forme de l’énigmatique "Give Me 250 ML", blues super accrocheur et "mid-tempo" où la voix ensorcelante du gourou du High Desert nous pénètre avec grâce. Enfin, "The Hollingsworth Session" est une version parfaitement aboutie de cette jam étalonnée en live sur cette tournée des salons, où grâce à un système de pédalier, Ehren Groban pouvait enregistrer in vivo des couches de rythmiques en boucles, tout en improvisant sur des leads inspirés sur le même instrument.
L’exercice, absolument réussi, propose une alternative passionnante à l’impressionnant héritage offert par John Garcia depuis plus de vingt-cinq ans : si l’on est bluffé par son naturel, par la beauté des chansons et l’extraordinaire rendu de sa voix, si unique, dans une telle configuration, il paraissait évident depuis quelques années que cette orientation était un nouveau chemin cathartique pour l’artiste, toujours aussi honnête et intègre vis-à-vis de lui-même.

En attendant la suite (il y a des chances que Garcia revienne à l’automne/hiver pour se payer une nouvelle couche de passages unplugged), le chanteur vient réanimer SLO BURN pour quelques dates choisies en festival ; le groupe n’avait sorti qu’un EP quatre titres en 1996 (« Amusing The Amazing ») alors qu’un album entier avait été mis en boîte. On ira donc l’applaudir, le saluer, et boire quelques-uns de ses très costauds Jack&Coke en coulisse au Desert Fest de Londres fin avril et au Hellfest sous la Valley.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK