Des hauts et des bas, comme dans la vie finalement. L’histoire du death metal c’est un peu ça, faite de moments de gloire comme de périodes de disette. Et la baisse de popularité que connaît le style en 1994 préfigure des quelques années de vache maigre qu’il s’apprête à subir…malgré une productivité encore soutenue et la sortie d’albums costauds signés CANNIBAL CORPSE, BOLT THROWER ou INCANTATION pour sa frange la plus traditionnelle. Pendant que certains de ses représentants comme OBITUARY et NAPALM DEATH s’essayent à l’expérimentation en glissant quelques influences industrielles et hardcore pour donner une deuxième jeunesse à leur metal de la mort. Mais cela a du bon : les seconds voire troisièmes couteaux, profitant de l’effet d’aubaine du début de la décennie, disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus et seuls les meilleurs restent. Cela a du moins bon : le public encore amateur de tripaille et d’ésotérisme quelques mois avant se tournent vers d’autres tendances plus à la page pour y dépenser ses deniers. Certaines formations l’ont d’ailleurs bien compris et pensent déjà au plan B. D’autres, comme GRAVE, s’en moquent et choisissent de maintenir le cap coûte que coûte. Le death metal, y’a que ça de vrai après tout.
Le résultat de cette obstination porte un nom : « Soulless », troisième album des suédois paru en 1994 chez Century Media. Celui-ci démarre sur des chapeaux de roue avec un sample tiré du film « Robocop »… ce qui n’est pas un hasard puisqu’à l’instar du robot-justicier, il écrase les conduits auditifs sans ménagement : « Je vous préviens, résister provoquera votre mort ». D’ailleurs pendant quarante-trois minutes, le groupe reste fidèle à ses préceptes destructeurs, ajoutant un léger soupçon de heavy au son déjà massif qu’il forge depuis de nombreuses années dans son antre de Visby. Moins bestial, moins brut qu’auparavant, GRAVE se risque même à quelques mélodies du meilleur effet ("Genocide", "Rain" ou le monstrueux final "Scars") histoire de donner un coup de fouet à son death metal grassouillet et addictif. Cela tombe bien, le gras c’est la vie me souffle-t-on dans l’oreillette. La production de Tomas Skogsberg est à ce titre titanesque, la prestation du trio Lindgren / Sandstrom / Paulsson remarquable de puissance : rien n’est à jeter sur ces onze morceaux redoutables qui voient un instrumental, "Judas", prendre des allures de break bienvenu à mi-parcours…avant de rempiler pour un tour.
Vingt-cinq ans après sa sortie, « Soulless » demeure l’album le plus abouti de GRAVE. Pas aussi culte que les deux premiers, portes-drapeaux d’un style musical qu’il a popularisé dans la foulée de DISMEMBER et ENTOMBED, mais un modèle du genre tenant encore la dragée haute à la horde de jeunes loups qui se disputent son héritage. Sa lourdeur naturelle, sa force brute et ses mélodies d’enfer en font une référence que vous pouvez redécouvrir sans attendre ci-dessous. A mettre fort bien entendu, très fort.