16 octobre 2023, 19:03

THE DARKNESS

"Permission To Land... Again" (20th Anniversary Edition)

Album : Permission To Land... Again (20th Anniversary Edition)

C’était il y a tout juste 20 ans : la tour (de Londres ?) avait accordé à ce drôle d’OVNI provincial mal fagoté le droit d’atterrir, avec sorties de piste potentielles et dégâts collatéraux question ridicule. Mais en quelques mois à peine, l’Angleterre, qui peinait depuis des années à retrouver de nouveaux héros rock moins prétentieux que les mancuniens d’OASIS (certes destroy et populos mais pas fun), se retrouvait subitement en pleine DARKNESS-Mania, avec très rapidement le chiffre record de 1,3 millions d’exemplaires écoulés de leur premier album « Permission To Land » – un véritable exploit pour un pays qui avait depuis longtemps oublié de s’amuser avec le rock'n'roll, et encore moins de sortir depuis ses fiefs prolétaires de bons groupes de hard rock dignes d’une Histoire jusqu’alors exemplaire aux yeux du monde.

Il y a 20 ans, début décembre 2003, le petit journaliste encore bleu était envoyé autour de midi à Pigalle, dans un discret hôtel luxueux du quartier, pour démarrer le premier reportage de sa carrière : aussi inconnu le groupe fut-il chez nous, je n’en menai pas large de me retrouver pendant toute une journée auprès de ce gang de quatre lads hirsutes qui m’apparaissaient déjà comme des rock stars flamboyantes, vu leur succès à domicile propulsé par les heavy rotation de leurs vidéos sur MTV2, alors le support dominant du grand retour du rock au début du millénaire. « 24 heures avec THE DARKNESS » : c’était l’exercice demandé par mon rédacteur en chef, qui avait eu le nez fin, malgré le fait que le groupe n’allait jouer qu’à la Boule Noire le soir même, pour une sorte de showcase spécial – là où il remplissait déjà la Wembley Arena de sa capitale outre-Manche.

De nez, avant qu’il ne s’enfile des kilomètres de cocaïne avec ses substantielles royalties, le chanteur-guitariste-leader Justin Hawkins l’avait, lui, bien encombré : après s’être bruyamment mouché tout près de moi et en ayant inspecté le contenu verdâtre et gluant de son Kleenex, il me regarda, les yeux brumeux, en m’annonçant tout fier de sa blague qu’il ferait peut-être mieux d’aller le mettre en vente illico sur e-Bay. Auto-dérision, humour anglais de fermeture de pub, et surtout lucidité : oui Justin, malgré ce prénom tout naze, sa sale gueule et ses ratiches, allait devenir une immense star. Et après les avoir suivi tous les quatre dans le quartier puis dans les backstages ridiculement petites de cette Boule Noire, THE DARKNESS était monté sur scène comme s’ils jouaient une fois de plus dans une arena, avec un show de princes de l’univers. Et lorsque la grande tige en combinaison spandex rose fluo s’adressa au public en blaguant en français-s’il-vous-plait, il n’obtint aucune réponse. « Est-ce qu’il y a quelqu’un qui comprend mon français dans la salle ??? » demanda-t-il. Silence total. « Euh, est-ce qu’il y a des anglais ce soir dans la salle ?? ». « YEEEEAAAH !!!!!! » gronda la foule : au bas mot les 95% du public n’était constitué que de fans privilégiés qui s’étaient dégotés des packages "Eurostar+Hôtel+Soirée The Darkness" à Paris, voir leur nouveau groupe favori dans de telles conditions étant désormais carrément impossible chez eux.

Vingt ans plus tard, et malgré une carrière qui n’aura pas réellement répondu aux attentes initiales, THE DARKNESS est toujours là, et de manière tout à fait légitime. Des choix stratégiques discutables, de la défonce, des albums inégaux et un certain relooking, mais oui, THE DARKNESS fait partie de notre paysage depuis vingt ans et s’en sort avec tous les honneurs, même s’il n’a hélas pu se hisser au niveau de ses héros, AC/DC, AEROSMITH, THIN LIZZY et surtout QUEEN, comme espéré. Assemblage de toutes ces influences essentielles, « Permission To Land », ce premier album aussi culte qu’auréolé de succès au cours des gros 18 mois qu’a duré le délire initial, est resté un monument du rock made in UK, largement réhabilité au-delà de la farce, du buzz, et des soirées karaoké à n’en plus finir autour du plus tubesque des hit-singles, le gigantesque "I Believe In A Thing Called Love", des pubs de Broad Street à Birmingham aux clubs ouvriers de Newcastle, en passant par chez eux au fin fond du Suffolk, à Lowestoft.

Au-delà de l’emballement populaire, « Permission To Land » s’est vraiment inscrit dans la durée et dans le patrimoine hard rock de ces deux décennies, tous ses tubes étant devenus des standards classic-rock, tels "Growing On Me" ou bien entendu l’irrésistible "Get Your Hands Off My Woman", et jusqu’à cette power-ballad absolument géniale, "Love Is Only A Feeling". 

Nous voici donc aujourd’hui, en 2023, comme pour n’importe quel marqueur culturel de taille, avec une réédition en mode box-set conséquente, et carrément digne des plus grands chefs d’œuvre passés. Outre l’album et ses dix perles, l’on retrouve sur deux premiers CDs une impressionnante déclinaison de démos, de versions edit et surtout de B-sides pas forcément connues de tous, le groupe ayant joué le jeu des morceaux additionnels sur bon nombre de ses tirages de singles à l’époque, comme "Bareback", "Physical Sex" ou encore "Makin’ Out" – tous les fans seront peut-être même surpris d’en avoir manqué un paquet tant ces deux disques se montrent gorgés d’inédits.

Plus jouissifs encore sont ces deux autres galettes, live cette fois, qui déploient donc trois concerts de l’incroyable tournée qui a entre autres provoqué cet extravagant succès britannique. Si en l’espace d’un an nous avons pu les voir trois fois à Paris (de la Boule Noire à l’Olympia donc, avec un stop à l’Elysée Montmartre avec les WILDHEARTS en ouverture), THE DARKNESS ont ratissé leur pays en long en large et en travers, des plus petits clubs avant leur consécration jusqu’aux stades et les plus grands festivals. Le CD numéro 3 compile donc les deux shows, courts, donnés sur l’immense scène de Knebworth en 2003 (le 3 août), ainsi que sur celle, minuscule, de l’Astoria à Londres (le 11 novembre 2003). Le son y est absolument monstrueux et puissant, raw à souhait, saignant et gras en décibels, comme en atteste le sommet de chacune de leur prestation, ce "Love On The Rocks (With No Ice)", prétexte à un interminable solo très électrique de Justin pourfendant les foules sur les épaules d’un roadie – tiens, on a déjà assisté à un truc du même genre... Le CD numéro 4 est lui entièrement consacré à l’un des trois concerts donnés à Wembley en 2004 (les 10, 11,12 décembre) alors que le groupe est au sommet – et son arrogance n’a d’égale que cette tenue de scène du niveau de leurs modèles et des plus grands, signe de l’excellence absolue du quatuor. Tout « Permission To Land » est alors exécuté comme à la guerre dans une ambiance cependant tellement fun, accompagné de ses quelques B-sides habituelles et même de nouveaux morceaux tout juste finalisés en répétition ("Buffet", "Grief Hammer" en ouverture risquée, "Dinner Lady Arms", etc), ainsi que de leurs comptines de Noël sorties à temps pour satisfaire un public friand de traditions ("Do They Know It’s Christmas ?" suivi de "Christmas Time (Don’t Let The Bells End)") – pas la plus formidable des conclusions, surtout après l’assommant tour de force qu’est "Love On The Rocks (With No Ice)", laissant chaque audience aussi sourde qu’exsangue.

Enfin le coffret ne serait pas complet sans son DVD qui regroupe tous les clips du groupe, pour la plupart hilarants et kitsch à souhait (quelque part entre les Monty Pythons et San Ku Kai revisités par David Lee Roth), mais également les concerts de Knebworth et surtout de l’Astoria, ici au complet en images folles.

Inutile d’insister sur le fait que non seulement cet album – l’un des plus fun des années 2000 – est absolument indispensable à votre discothèque, mais que cette réédition richement augmentée l’est tout autant pour les fans tant complétistes que nostalgiques d’une ère où il y avait tout à reconstruire dans le genre, ces anglais totalement extravertis et décomplexés ayant accompli un véritable miracle de rock'n'roll et d’entertainment larger-than-life. 

Depuis cette Boule Noire de 2003, on est resté archi fan et tout leur attirail en Technicolor a comblé les manques des heureux qui ont connu une ère où l’on savait autant s’amuser qu’être d’excellents musiciens.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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