28 avril 2014, 18:40

MARS RED SKY : "Stranded In Arcadia"

Album : Stranded In Arcadia

Il semblerait y avoir ici un buzz aussi retentissant que leur fuzz se montre vrombissante : récemment signés chez Listenable après un premier album apparemment culte dans le milieu ainsi qu’une poignée de 45 tours et EPs, les Bordelais se sont notamment fait remarquer sur de nombreux festivals pour le moins marquants et déterminants - Roadburn, SXSW, Desert Fest, Eurockéennes, ainsi que sur plusieurs tournées européennes ; et que vous pourrez d'ailleurs juger sous peu par vous-même au Hellfest, en première partie de DÉTROIT à la Cigale, ou sur les routes françaises ces jours-ci.

Fans obsessionnels de stoner, nous sommes évidemment habitués à de forts amples horizons, l'expression fourre-tout "stoner" caractérisant certes un certain ensemble de codes musicaux, mais plus largement un état d'esprit, une philosophie, une palette sonore empruntant très copieusement aux années 70, du hard-rock Champagne matriciel aux power-trios lourds et enfumés de l'ombre, au proto-punk stoogien, au space-rock d'HAWKWIND, au kraut-rock, au garage 60's, au classic-rock, voire au rock sudiste du côté de LYNYRD SKYNYRD, ou bien encore au rock planant et psychédélique de PINK FLOYD, mais aussi bien au-delà, enfonçant les portes du post-core, du doom embryonnaire évidemment, du metal ou du drone, funéraire ou expérimental... Ainsi on ne s'étonnera pas de trouver dans une discographie stoner digne de ce nom des références basiques comme KYUSS, FU MANCHU, NEBULA, MONSTER MAGNET, mais aussi NEUROSIS, BORIS, ORANGE GOBLIN, ROADSAW, CROWBAR, CLUTCH, FATSO JETSO, WO FAT, EARTHLESS, FIVE HORSE JOHNSON, KYLESA, YAWNING MAN, EYEHATEGOD etc, etc. Autant dire que, tout défoncé et bas-du-front le fan de stoner puisse-t-il être, il a non seulement bon goût, mais surtout l'esprit ouvert à tout brassage et mix d'influences diverses, pourvu qu'il ait l'ivresse... Ainsi, l'a-t-on vu ces dernières années se pencher vers des groupes plus branchés tels que THE BLACK ANGELS, THEE OH SEES, TY SEGALL et FUZZ, BLACK MOUNTAIN ou encore BAND OF SKULLS. 

Ce qui nous mène à nos affaires - c'est précisément vers ces frontières-ci que se situent nos bordelais : entre un doom crépusculaire digne héritier de l'esprit BLACK SABBATH - What else ? Référence immuable, absolue et obligatoire -, l’esprit post-rétro et alambiqué de GHOST (mysticisme quasi-religieux, lourdeur et harmonies vocales), et une certaine idée de la pop psychédélique un peu branchouille, faut bien l'avouer. Si les compos s'alignent plus ou moins dans une tradition stoner exemplaire, ce qui choque quelque peu, c'est le son, cette production très sophistiquée apportée aux éléments basiques qui caractérisent notre petit univers : tout est beaucoup TROP compressé et massif, la rythmique manque cruellement de chaleur et de naturel, et l’on recherche une respiration live qui fait défaut. A vouloir se construire un son légitimement singulier et ainsi favoriser une guitare ultra fuzz, MARS RED SKY parvient délibérément à l'effet inverse, transformant ainsi un son traditionnellement sale et sauvage en un bourdonnement paradoxalement propre, clinique et tellement peu spontané. En sus le groupe use et abuse de wah-wah comme trames lead et mélodiques plutôt aigües, cet autre effet vintage devenant un gimmick quasi-systématique tantôt efficace, tantôt irritant car omniprésent ("Circles"). A cela s'ajoutent les vocaux extrêmement féminins de Julien Pras rappelant donc Amber Webber ou Emma Richardson des groupes BLACK MOUNTAIN et BAND OF SKULLS suscités, ainsi que la batterie particulièrement plastique et si peu organique, et l'on dérive très sensiblement vers des sonorités autrement plus aseptisées, voire même carrément pop, même si le propos s'avère bien complètement psychédélique et astral, avec des compositions étirées, complexes et franchement peu immédiates. Si en ouverture "The Light Beyond" créée magnifiquement bien l'illusion et la surprise avec une logique sabbathienne bien assommante, le reste de l'album engendre tellement de sensations différentes et paradoxales : si l'excitation ne fut pas toujours au rendez-vous lors des premières écoutes, quelque chose d’indicible dans la musique de MARS RED SKY nous pousse à réécouter ces huit morceaux pour le coup très originaux dans la forme - le fond étant assez référencé, brassé et prétexte à de fausses jams construites dans le but d’emmener l’auditeur exigeant dans des sphères cosmiques lors d’un voyage très mouvementé. Désorientés, nous sommes aussi malmené par les soubresauts rythmiques d’un vaisseau traversant bon nombre d’épaisses turbulences, que régulièrement séduit par les sensations planantes enfin offertes lors de nouvelles contrées dévoilées, douces et apaisées. L’un des meilleurs moments du disque est incontestablement la destination "Arcadia", synthétisant en six petites minutes intégralement instrumentales l’esprit de leur trip, entre KYUSS et EARTHLESS. Derrière, "Seen A Ghost" est une litanie rituelle et tribale, super heavy saupoudrée de vocaux aériens enchanteurs évoquant donc un contraste à la GHOST, percée par une plage atmosphérique et presque relaxante, où l’on respire enfin quelques mesures avant un regain tempétueux...

Tant mieux si MARS RED SKY bénéficie d'une hype bouillonnante et grandissante, les efforts sont récompensés et l’on remarque le nom du trio dans bon nombre de références aujourd’hui, ci et là. Chez nous la sauce ne fonctionne pas systématiquement comme on pouvait l'espérer : aussi, en aucun cas cette humble chronique ne voudrait se montrer définitive, car depuis sa première écoute, "Stranded In Arcadia" a considérablement évolué, traversant aussi bien l’étonnement que l’agacement, la séduction, la surprise, pour revenir brutalement vers quelques instants de lassitude, et par conséquent une constante remis en question de son appréciation, virant toutefois lors d’intenses instants à la passion, pure et simple, voire à la fascination - heureusement savons-nous nous remettre en question et adopter un certain recul, ici immensément nécessaire. Très déconcertant.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK